Université du Québec à Montréal - Institut de recherches et d’études féministes
Extrait du procès-verbal de la réunion du Conseil tenue le 16 février 2023 à 10 h
Contexte
Dans le cadre des consultations de la communauté uqamienne sur le projet de politique nº 2 sur la liberté académique universitaire, l’IREF, par la voie de son Conseil, a souhaité se positionner et souligner des écueils importants de ce projet de politique. Comme personnes étudiantes, enseignantes, chercheures et équipe de travail en études féministes, nous nous penchons depuis longtemps sur certains des enjeux soulevés par cette politique. Nous avons même développé une expertise sur le traitement de certains sujets sensibles dans les salles de classe et dans l’Université de manière plus générale (voir Extrait du procès-verbal de la réunion du Conseil de l’IREF du 12 déc. 2018 « Respect des différents points de vue dans le milieu universitaire »). À la lumière de ces expériences diverses et multiples, nous souhaitons souligner des lacunes de cette politique, dont les modalités de consultation qui ne sont pas nommées dans le projet de politique. La consultation est limitée aux groupes et instances qui représentent principalement les points de vue des personnes enseignantes ou administratrices de l’UQAM. Considère-t-on que les autres composantes de la communauté universitaire ne soient pas touchées par la question de la liberté académique?Qu’advient-il des étudiant·es dans des séminaires aux cycles supérieurs qui ont un rôle fondamental dans l’articulation des contenus et des questionnements développés dans le cadre pédagogique dans ces cours ? Et de ces professionnel·les à la recherche et à la formation qui accompagnent les chercheur·es et les enseignant·es ?
Préambule et Objet (sections 1 et 2)
Ce projet de politique semble avoir comme visée de réaffirmer la « liberté » de pouvoir dire, et ce, peu importe l’effet qu’elle suscite. Or, toute liberté a des balises (dont certaines sont définies par les lois) et toute liberté vient avec des devoirs. En ce sens, il serait important de rappeler les balises à travers lesquelles s’exerce cette liberté, notamment les politiques existantes (Politiques 16, 42, 28 à l’UQAM, et articles 318 à 320.1 du Code criminel) et les devoirs qui l’accompagnent. De manière plus proche du quotidien, la parole « libre » n’est pas garante de démocratisation des savoirs et de favoriser les échanges égalitaires. En particulier, il n’y a aucune mention d’un quelconque devoir de responsabilité de la part de ceux et celles qui jouissent principalement de la « liberté », du fait de leur position d’autorité institutionnelle. Cette liberté dont on parle, c’est la liberté de qui ? Seulement des personnes enseignantes ? Qui peut « choquer », avoir des propos vexatoires en salle de classe ? Les étudiant·es aussi ? Et quelles sont les frontières entre propos qui « choquent », propos vexatoires, discriminatoires et discours haineux ? Toutes ces questions soulignent l’absence d’une réflexion éthique autour de la notion de liberté. Pourquoi ne réfléchissons-nous pas au devoir de prendre soin de la communauté d’apprentissage du point de vue scientifique, mais aussi du point de vue éthique, lequel devrait avoir préséance dans la recherche et l’enseignement universitaire ?
Objet (Section 2)
Il n’est pas coutume dans une politique de spécifier ce que la politique ne fait pas, puisque la liste pourrait être plutôt longue. De plus, le 2e paragraphe de cette section, sous couvert de « ne pas obliger », décourage des pratiques qui sont pourtant utiles, dans beaucoup de cas, à limiter les impacts négatifs d’un contenu sensible. En soulignant qu’« on ne peut empêcher » sans parler des responsabilités qui y sont liées, cette politique n’encourage aucunement la réflexion critique et la construction d’un climat d’échange et de respect autour des sujets « qui sont susceptibles de choquer ». Par conséquent, il nous semble essentiel d’enlever ce paragraphe.
Cadre juridique (section 4)
Le cadre juridique du projet de politique omet plusieurs documents (Charte et règlements) qui tiennent compte des règlements et se doivent de protéger, entre autres, les personnes étudiantes et employées à l’UQAM : Charte des droits et responsabilités des étudiantes et des étudiants ; Politique nº 16 visant à prévenir et à combattre le sexisme et les violences à caractère sexuel ; Politique nº 28 sur les relations interethniques et Politique nº 42 sur le respect des personnes, la prévention et l’intervention en matière de harcèlement.
Responsable de la liberté académique universitaire (section 7)
L’énoncé stipulant que la rectrice, le recteur est responsable de la liberté académique ne permet pas de comprendre comment et pourquoi. Dans quelle mesure cette responsabilité diffère-t-elle de la responsabilité des autres politiques ? Pourquoi ce choix ? Comment cette responsabilité est-elle balisée ? N’est-ce pas le Conseil d’administration qui décide, in fine ? Est-ce un appel à ce que la rectrice, le recteur serve de juge dans toutes les situations de conflits ?
Fonction du Comité sur la liberté académique universitaire (section 8.1)
Le projet de politique propose une approche punitive qui mise sur une sur-juridicisation des conflits dans la communauté universitaire. Le projet n’envisage aucune mesure positive pour former et éduquer au respect et à la responsabilité dans le partage et dans la discussion des idées dans un contexte universitaire. Pour l’instant, la mission du comité n’est que de gérer les plaintes. Elle pourrait également être de promouvoir une culture de respect et d’écoute au sein de la communauté universitaire, donc une mission positive et formatrice, non pas seulement de sanction et de punition. Pourquoi ne pas créer, par exemple, des capsules vidéo qui illustreraient des exemples de conduites respectueuses et éthiques ? Le comité ne pourrait-il pas élaborer un plan (au deux ans) pour favoriser la diversité des opinions et l’écoute entre elles au sein de l’UQAM ?
Composition et nomination du comité de la politique sur la liberté académique universitaire
(section 8.2)
Le projet de politique stipule que les membres du comité seront nommé·es par la rectrice, le recteur. Or, afin d’assurer une redevabilité des personnes le constituant, il importe que les membres du comité soient élu·es à travers les instances qui représentent ces groupes : les professeur·es par le SPUQ, les personnes chargées de cours par le SPPEUQAM, la personne cadre par l’Association des cadres de l’UQAM, les personnes étudiantes par les associations étudiantes, les employé·es de soutien par le SEUQAM, les étudiant·es employé·es par le SÉTUE. Ces procédures ont fait leurs preuves lors de comité sur d’autres politiques (ex. : Politique nº 16) et assurent que les membres du comité sont redevables auprès de la population qu’ils, elles représentent dans les espaces dédiés à ces groupes constituants. La présence des personnes employées est très liminale dans le projet de politique. En particulier, les personnes auxiliaires d’enseignement et les personnes professionnelles de recherche, ou impliquées de par leurs fonctions dans l’enseignement et la recherche, ne sont ni représentées sur le comité de la politique, ni mentionnées parmi les personnes affectées ou au cœur de cette politique.
Modalités de traitement des plaintes portant sur la liberté académique universitaire
(section 9)
Dans sa totalité, la section 9 est particulièrement problématique, compte tenu qu’aucun exemple n’est proposé quant au traitement, à la recevabilité de la plainte et aux mesures qui seront applicables, d’autant que l’approche punitive semble privilégiée et que le projet de politique ne prévoit aucune formation en amont qui porterait sur les responsabilités et devoirs incombant à la communauté universitaire.
RÉSOLUTION C-IREF-2023-02-303
Position de l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) sur le Projet de politique nº 2 sur la liberté académique universitaire
ATTENDU la politique no 2 sur la liberté académique universitaire proposée par l’UQAM ;
ATTENDU que cette politique ne représente principalement que les points de vue des personnes enseignantes ou administratrices de l’UQAM ;
ATTENDU les discussions en séances ;
LE CONSEIL DE l’IREF DEMANDE QUE LES PERSONNES AUTRICES DE LA POLITIQUE Nº 2 :
- Consultent les personnes étudiantes et professionnelles à la recherche et à la formation qui accompagnent les chercheur·es et les enseignant·es et intègre dans son préambule ces modalités de consultation.
- Revoient (sections 1 et 2) les frontières entre les propos « qui choquent », les propos discriminatoires, vexatoires et les discours haineux.
- Réfléchissent (sections 1 et 2) à notre responsabilité et notre devoir – en tant qu’établissement d’enseignement universitaire – de prendre soin de la communauté d’apprentissage du point de vue éthique.
- Retirent (section 2) le deuxième paragraphe qui concerne l’avertissement lorsqu’une activité propose un contenu susceptible de choquer.
- Ajoutent au cadre juridique (section 4) la Charte et les politiques suivant·es :
- Charte des droits et responsabilités des étudiantes et des étudiants ;
- Politique nº 16 visant à prévenir et à combattre le sexisme et les violences à
caractère sexuel ;
- Politique nº 28 sur les relations interethniques ;
- Politique nº 42 sur le respect des personnes, la prévention et l’intervention en matière de harcèlement.
- Précisent (section 7) les raisons qui expliquent que la liberté académique soit de la responsabilité de la rectrice, du recteur.
- Considèrent (section 8.1) l’intégration de mesures positives pour former et éduquer au respect et à l'écoute dans le partage et la discussion des idées dans un contexte universitaire.
- S’en remettent aux instances reconnues pour la nomination des membres du Comité sur la liberté académique universitaire (section 8.2), soit :
- Le Syndicat des professeurs et des professeures de l’Université du Québec à Montréal (SPUQ) ;
- Le Syndicat des professeures et professeurs enseignants de l’UQAM (SPPEUQAM) ;
- L’Association des cadres de l’Université du Québec à Montréal (ACUQAM) ;
- Le Syndicat des employées et des employés de l’UQAM (SEUQAM) ;
- Le Syndicat des étudiantes et des étudiants employé·es de l’UQAM (SÉTUE) ;
- Les associations étudiantes.
- Indiquent (section 9) plus explicitement quelles sont les modalités de traitement des plaintes portant sur la liberté académique universitaire et quels en sont les objectifs.
IL EST PROPOSÉ par Thérèse St-Gelais, APPUYÉ par Geneviève Pagé,
QUE le Conseil de l’IREF fasse parvenir ses recommandations au Secrétariat des instances.
Personne ne demande le vote.
ADOPTÉE À L’UNANIMITÉ