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L’injustice épistémique: un concept pertinent pour les études féministes

Amandine Catala, professeure au Département de philosophie, membre de l'IREF, plaide pour la participation des groupes non dominants à la production et à la diffusion des connaissances.

Une personne subit une injustice épistémique si elle n’est pas adéquatement crue ou comprise parce qu’elle appartient à un groupe social non-dominant (p.ex., femmes, minorités sexuelles, Autochtones, personnes racisées comme non-blanches, personnes handicapées ou neurodiverses).

Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l'injustice et l'agentivité épistémiques, la professeure a obtenu, l’an dernier, une subvention dans le cadre du programme Savoir du CRSH pour un projet de recherche intitulé «Savoirs et esprits minorisés: pour une conception inclusive de l’agentivité et de l’injustice épistémiques».

À l’occasion de la Journée internationale des personnes handicapées, le 3 décembre, Amandine Catala était en entrevue avec Actualités UQAM concernant son projet de recherche : «L’adjectif «épistémique» fait référence à la connaissance. Le terme d’agentivité réfère quant à lui au fait d’agir. L’expression «agentivité épistémique» réfère donc à tout ce que nous pouvons faire avec la connaissance: par exemple, l’utiliser, la produire ou la transmettre.

Ainsi, il est possible qu’une personne qui tente de contribuer à un échange ne soit pas prise au sérieux en raison de biais chez l’interlocuteur. Par exemple, un juge qui ne croit pas le témoignage d’une victime parce que la victime est une femme; une médecin qui ne croit pas les symptômes que lui décrit un patient noir parce que le patient est noir; un étudiant qui ne reconnaît pas l’expertise d’un professeur en situation de handicap parce que le professeur est en situation de handicap; ou un enseignant qui conseille à un élève autochtone de ne pas faire d’études universitaires parce que l’élève est autochtone.

Ou encore, il est possible que l’expérience des membres de groupes non dominants soit mal comprise en raison de biais dans les outils interprétatifs (soit les représentations sociales, les mots, les concepts) que la société utilise pour interpréter différentes situations ou expériences. Comme ces outils interprétatifs sont produits principalement par les groupes dominants, ils ont tendance à ignorer ou à stigmatiser la situation des groupes non dominants. L’expérience de ces derniers sera donc moins facilement communicable ou compréhensible. Par exemple, quand le terme de harcèlement sexuel n’existait pas encore, les femmes qui subissaient cette situation ne pouvaient pas communiquer comme telle leur expérience de harcèlement sexuel. Selon les outils interprétatifs dominants, leur situation était (inadéquatement) caractérisée comme de la drague inoffensive ou comme une attention dont elles devraient se réjouir et non se plaindre.»

Lire la suite de l'entrevue dans Actualités UQAM

Vous pouvez l’écouter expliquer le concept dans la vidéo enregistrée lors de la journée d'études organisée par l’IREF, le 30 mai 2019: L’injustice épistémique : un concept pertinent pour les études féministes.

En études féministes, Amandine Catala, enseigne les cours :

Tremplin, no.3, 2012, «Du Nous femmes au Nous féministes: L’apport des critiques anti-essentialistes à la non-mixité organisationnelle»

Par Stéphanie Mayer. Cahiers de l'IREF, collection Tremplin, no 3, 2012

Les espaces politiques non-mixtes entre « femmes » représentent, en raison de l’autonomie qu’ils permettent d’acquérir, un mode d’organisation qui s’est avéré efficace pour mener des luttes en faveur de la liberté. Ce type de rassemblement se constitue sur la base du « Nous femmes » qui fait l’objet depuis près de trois décennies de nombreuses résistances de la part des féministes postmodernes et poststructuralistes. Ces critiques de l’essentialisme remettent en cause les fondements du « Nous femmes » et ébranlent, par le fait même, le mode d’organisation en non-mixité construit sur l’identité « femmes ».

Cette recherche vise les trois objectifs suivants : 1) retracer l’importance politique du mode d’organisation en non-mixité « femmes »; 2) explorer, à partir d’une perspective féministe postmoderne et poststructuraliste, les tensions relatives au « Nous femmes » et à l’expérience qui lui est propre; et 3) montrer la pertinence du déplacement vers le « Nous féministes », qui permet de penser une non-mixité entre féministes.

Cette analyse épistémologique met en dialogue les cadres théoriques des féministes radicales, principalement matérialistes, avec ceux des féministes postmodernes et poststructuralistes au sujet du « Nous femmes » et de son expérience spécifique. La discussion aboutit à une proposition actualisée en matière de concepts féministes mobilisés dans le cadre d’une organisation en non-mixité, qui conjugue anti-essentialisme et radicalisme politique.

La proposition centrale de cette recherche entend inciter les féministes (militantes et théoriciennes) à emprunter le passage du « Nous femmes » vers le « Nous féministes ». Ce déplacement permet la conceptualisation d’une non-mixité entre féministes invitée à se saisir, dans une perspective féministe, de l’ensemble des enjeux sociaux. Cette démarche repose sur le postulat que les féminismes représentent une réflexion politique qui concerne l’ensemble de la société, qu’ils constituent un projet démocratique.

Les conclusions rappellent l’importance de ce déplacement épistémologique et politique du « Nous femmes » vers le « Nous féministes » afin de contourner les paradoxes théoriques que revêtent les ancrages essentialistes associés à la catégorie « femmes » et la non-mixité sur cette base.

Cette publication est disponible en libre accès

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